«Il n’y a pas un endroit au monde où l’homme est le plus heureux que dans un stade de football», écrivait Albert Camus. Mais à voir l’ambiance dans les bars ou les fans zones il n’y a pas que dans les stades que le foot répand le bonheur. Comment expliquer ce phénomène?
Un ascenseur émotionnel
Claudia Senik, auteure de «L’Economie du Bonheur» a étudié l’impact des grands événements sportifs sur le bien-être des populations. Entre l’ouverture des Jeux de Londres et leur fermeture, le bonheur mesuré sur une échelle de 0 à 10, est significativement plus élevé (en tenant compte de tous les autres effets). Ainsi à Londres, Paris et Berlin le bonheur moyen avant les Jeux est à 6,5, or il s’élève à 6,8 pendant les jeux à Paris et Berlin, et atteint même les 7 à Londres. Cet effet est cependant éphémère puisqu’au mois de septembre, le bonheur redescend à 6,6, une valeur qui reste supérieure à celle mesurée avant les jeux.
Cependant, une étude récente du National Institute of Economic and Social Research démontre que la douleur de voir son équipe perdre est deux fois plus forte que la joie de la voir gagner! Et la peine est encore plus intense quand l’équipe adverse est réputée moins bonne que celle que l’on défend ou si l’on est au stade.
Chance, entraide, injustice; le match de foot va faire passer le spectateur par un spectre d’émotions intenses, qui peuvent paraitre factices sur le terrain mais qui peuvent être graves dans la vie. C’est une «pièce de théâtre, avec une unité de temps et de lieu, dans laquelle on rejoue les grands mythes», analyse encore Paul Dietschy, historien spécialisé dans le football, qui rappelle que pendant longtemps, «l’équipe de France incarnait le mythe de Sisyphe, en arrivant jusqu’aux demi-finales avant de s’effondrer et de devoir tout recommencer».
La médiatisation joue également un rôle important «Ce phénomène massif est lié à la popularité du foot, l’un des rares sports à être à la fois très pratiqué et très médiatisé», précise le philosophe Gilles Vervisch. «Quand on gagne une grosse compétition de foot, on sait que le reste du monde va en entendre parler.». Et on revit également les émotions à travers les discussions qui vont continuer à avoir lieu.
Phénomène de communion
Lors de grands évènements sportifs, nous sommes face à un phénomène de groupe qui dépasse le « simple » match local. Il s’agit de soutenir une identité nationale avec le besoin de se rattacher à des valeurs collectives. Une des raisons d’un tel engouement pour les coupes du monde, c’est l’identification aux couleurs nationales. «Les compétitions où chacun a à perdre et à gagner ne sont plus très courantes», explicite Gilles Vervisch, enseignant de philosophie et auteur de De la tête aux pieds, Philosophie du football. Le football permet de créer une union nationale «La Coupe du monde permet d’avoir le sentiment d’appartenir à un ensemble. C’est ce qu’on entend dans “On a gagné!”: l’identification à un pays, aux couleurs nationales.»
C’est Gustave le Bon qui décrit le premier la psychologie des foules. Il explique que le comportement d’individus réunis n’est pas le même que celui d’un individu isolé.. « La personnalité consciente s’évanouit, les sentiments et les idées de toutes les unités sont orientés dans une même direction. Des milliers d’individus séparés peuvent à certains moments, sous l’influence de certaines émotions violentes, un grand événement national par exemple, acquérir les caractères d’une foule psychologique. Il suffira alors qu’un hasard quelconque les réunisse pour que leurs actes revêtent aussitôt les caractères spéciaux aux actes des foules. A certains moments, une demi-douzaine d’hommes peuvent constituer une foule psychologique, tandis que des centaines d’hommes réunis par hasard peuvent ne pas la constituer.»
Cette invasion du foot qu’on voit partout peut être exaspérante pour bon nombre de personnes. Gilles Vervisch explique qu’ «on fait vite le parallèle avec l’opium du peuple, c’est-à-dire le bonheur illusoire dont parle Marx et qui permet aux classes dominées de supporter leur condition. (…) Certaines postures peuvent aussi être un peu hypocrites, de l’ordre du snobisme social. Lorsqu’on regarde un match de foot, on ne croit pas que ça va réellement changer la vie, c’est une parenthèse. C’est de la joie, pas un bonheur durable.» Donc que ceux qui sont agacés par cet engouement du foot se rassurent: après le 15 juillet, deux nouvelles années de tranquillité vous attendent avant l’Euro!
Sources:
http://www.lefigaro.fr/ https://www.lequipe.fr/ https://www.atlantico.fr/
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